Près d'un an après le lancement de notre Appel et après deux remaniements ministériels qui nous ont poussées à reporter son envoi au ministre, Gabriel Attal nous a offert l'occasion immanquable de l'interpeler sur la numérisation de l'école. lui adresser enfin notre Appel, fort de 3287 signatures. Le 13 novembre, dans une interview au Parisien, il appelait à "un sursaut collectif" contre le trop d'écran qu'il a qualifié de "catastrophe sanitaire et éducative". En réponse, nous lui avons donc adressé notre Appel avec la liste des noms de ses 3287, accompagné de ce courrier, que Marianne a publié en intégralité.


Monsieur le ministre, vous appelez à un sursaut collectif contre la surexposition aux écrans, que vous qualifiez fort justement de catastrophe sanitaire et éducative. Vous avez raison : les dégâts produits sur notre jeunesse par l’omniprésence de ces écrans, et souvent dès le plus jeune âge, sont d’une ampleur inouïe !

À la place qui est la vôtre, votre devoir est de prendre votre part à cette lutte qui doit être celle de tous les adultes pour protéger nos enfants et leur permettre de profiter pleinement de leur scolarité. Et vous pouvez faire beaucoup. On pointe en effet largement la responsabilité des parents, mais quelle est celle de l’école ?

Agir contre la numérisation

Depuis dix ans maintenant, l’école se numérise. D’abord par la généralisation des ENT [espace numérique de travail], puis par la distribution progressive de terminaux individuels aux élèves, et ce, dès la maternelle. Ce faisant, l’institution prescrit de plus en plus largement l’usage des écrans, à l’encontre du choix éducatif des parents qui en limitent drastiquement l’usage voire l’interdisent sous leur toit. En cela, monsieur le ministre, vous avez le devoir d’agir et de clarifier ce paradoxe : que peuvent comprendre parents et enfants de cette injonction à utiliser à l’école des écrans auxquels vous reconnaissez par ailleurs une réelle nocivité ?

Un de vos prédécesseurs avait pour projet d’instaurer « l’école de la confiance », mais à quel point la confiance est-elle mise à mal lorsque le ministre de l’Éducation déclare le lundi dans une interview qu’« il faut éviter une catastrophe sanitaire et éducative liée à la place des écrans » et le jeudi face aux industriels de la Ed Tech que « pour élever le niveau général de nos élèves, le numérique et l’intelligence artificielle sont des outils clés » ?

Nous sommes deux mamans, et parce que nous considérons que la numérisation de l’école doit faire l’objet d’un véritable débat public – ce qui jusqu’à présent n’est nullement le cas – nous avons rédigé cet appel. Publié par Marianne en février dernier sous le titre « L’Éducation nationale renforce la dépendance au numérique », il a été signé par 3 287 personnes à travers la France, dont la moitié de parents, mais aussi bon nombre d’enseignants, des intellectuels et universitaires, des professionnels de santé, de l’enfance mais également du numérique, et de nombreux citoyens inquiets de cette politique. Aujourd’hui, nous vous l’adressons : il est nécessaire que vous considériez le propos qu’il porte car, monsieur le ministre, face à la catastrophe sanitaire et éducative qui se joue, vous avez non seulement le devoir mais surtout le pouvoir d’agir.

De nombreuses inquiétudes

Nous joignons à ce texte celui d’une autre tribune, également publiée dans la presse et signée avec nous par d’autres collectifs et associations. Celle-ci fait notamment référence à l’avis rendu en juin 2022 par le Conseil supérieur des programmes (CSP) de l’Éducation nationale sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs : nous vous invitons vivement à prendre en compte les alertes et recommandations émises dans la troisième partie de ce rapport, car oui, le CSP tire lui aussi la sonnette d’alarme.

Depuis la création il y a un an de notre collectif CoLINE (Collectif de Lutte contre l’Invasion Numérique de l’École), nous avons reçu énormément de témoignages de la part de parents et d’enseignants : l’inquiétude et la détresse sont immenses face à cette injonction à l’usage du numérique qui est faite par l’institution, et c’est surtout le constat de cette catastrophe sanitaire et éducative que malheureusement l’Éducation nationale accélère par ses prescriptions. Il est urgent que vous agissiez, monsieur le ministre, avec le même courage, nous l’espérons, que votre homologue suédoise l’a fait en osant faire marche arrière et revenir aux manuels scolaires à la place des terminaux numériques.

Sur le terrain, de plus en plus de gens, et notamment de parents, se mobilisent. Notre collectif est aujourd’hui présent partout en France pour faire entendre le refus de ce que beaucoup ressentent, et dans tous les milieux sociaux, comme une trahison de la part de l’institution. Les adolescents eux-mêmes s’inquiètent, notamment ceux qui se voient imposer le tout-numérique comme les lycéens du Grand Est. Comme vous le dites justement vous-même dans cette interview au Parisien, le rôle de l’école est de proposer autre chose aux enfants, pour leur donner toutes les chances de maîtriser les fondamentaux et notamment la lecture, le langage, et tout simplement la capacité à penser.

Une catastrophe

Aussi, monsieur le ministre, nous espérons que vous saurez entendre l’appel que nous vous adressons. À quoi sert de dénoncer le désastre si l’on ne s’efforce pas d’abord à la plus élémentaire cohérence ? Vous prenez la mesure de la catastrophe qui se joue, et vous avez les moyens d’agir avec force. Nous vous conjurons de le faire, car il en va, vous le savez comme nous, de l’avenir de nos enfants, de l’avenir de notre nation tout entière.

Le sursaut collectif auquel vous appelez, nous l’entendons comme le devoir pour chaque adulte d’agir en responsabilité, dans le rôle qui est le sien, de parent, d’éducateur ou de décideur, pour protéger nos enfants de la catastrophe. Nous comptons sur vous pour faire tout ce qui est en votre pouvoir en ce sens. Nous tenant évidemment disponibles pour vous faire entendre plus avant la réalité des familles, nous vous adressons, monsieur le ministre, nos respectueuses salutations.