« Contre l’invasion numérique à l’école », des parents d’élèves montent un collectif

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Préoccupées par l’intrusion des écrans, tablettes et autres ordinateurs dans les salles de classe, deux mères d’élèves ont créé le Collectif de lutte contre l’invasion numérique à l’école (CoLINE). L’une des fondatrices, Julie Perel, exerce par ailleurs comme orthophoniste à Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes (Ille-et-Vilaine).

Des tableaux interactifs plutôt que des tableaux noirs. Des ordinateurs à la place des cahiers. Du virtuel plutôt que du contact humain. C’est l’ensemble de ce processus qui serait en marche dans les établissements scolaires, qui inquiète Julie Perel.

Orthophoniste de métier et mère de trois enfants, elle a fondé avec Audrey Vinel, le collectif CoLINE (Collectif de lutte contre l’invasion numérique à l’école) pour trouver « un exutoire à ma colère et un moyen d’agir ». Ensemble, elles veulent fédérer d’autres parents pour interpeller les institutions et les enseignants sur cette « invasion » du numérique au sein de l’école et sur ses conséquences, néfastes selon elles, sur l’apprentissage.

L’école, un nouveau marché à conquérir ?

Selon les membres du collectif, les géants du numérique auraient jeté leur dévolu sur l’école en l’identifiant comme un nouveau marché à conquérir. Et l’Éducation nationale, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, « et sans concertation », ne ferait rien pour entraver le mouvement.

« On peut se dire que l’usage des écrans, c’est moderne et que ça correspond au monde dans lequel on vit. C’est ce qu’on nous répond souvent. Et moi aussi, j’ai pensé ça pendant longtemps, explique-t-elle. Sauf que dans les faits, c’est différent. On impose un outil sans apprendre à s’en servir. Ça n’est pas parce qu’on met un berceau dans une bibliothèque que l’enfant va savoir lire. En immergeant un enfant ou un adolescent dans un environnement tout numérique, on en fera un bon consommateur d’écran. Mais en fera-t-on un bon usager ? » Le collectif, qui invite à ne pas confondre progrès et modernité, plaide par ailleurs pour des cours d’éducation au numérique.

Sanctuariser l’école

Dans son cabinet situé à Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes, elle dit constater les dégâts causés par l’usage des écrans. Elle, dont le carnet de rendez-vous est complet pour une année, explique voir de plus en plus d’enfants ayant des difficultés à se concentrer ou même accusant des retards de développement. « Ils ont fréquemment aussi des problèmes de gestion de la frustration quand ils n’arrivent pas quelque chose. » Dans ce cas, une solution : le sevrage. Pour autant, le temps d’exposition ne fait pas tout. D’autres facteurs jouent comme « le niveau d’interaction avec les adultes, si l’enfant est stimulé par ses parents ou non ».

Mais pourquoi, alors que les écrans sont partout, dans les entreprises ou les foyers, l’école aurait vocation à rester un sanctuaire ? « On pourrait retourner la question : tous ces enfants plongés en permanence dans ce monde numérique, ne gagneraient-ils pas à avoir un environnement d’apprentissage préservé ? Un exemple : ça n’est pas parce que chez eux ils mangent de la malbouffe, qu’à l’école ils n’auraient pas droit à une alimentation saine. »

La Suède fait marche arrière

Les parents d’élèves du collectif mettent sur la table d’autres sujets. Ils dénoncent une forme de déshumanisation s’installant entre les parents et l’institution, notamment via Pronote. Ce logiciel permet de consulter les notes obtenues par les enfants, d’accéder à l’agenda des devoirs, leur emploi du temps, d’être prévenu en cas d’absence.

Cet outil, par ailleurs bien utile, aurait selon CoLINE également pour effet de participer au stress numérique dont souffriraient certains jeunes.

Avec son collectif, Julie Perel, qui se dit « très attachée à l’école publique, à la mixité », espère faire réagir l’institution. Pour elle, une marche arrière est toujours possible, comme c’est le cas en Suède, où après avoir troqué les livres contre les tablettes voilà cinq ans, le gouvernement a annoncé vouloir un retour des manuels papiers dans les établissements.

Pour l’Unesco, du positif, du négatif et pas mal de questions

Dans un rapport publié à la fin juillet 2023 et intitulé Les technologies dans l’éducation : qui est aux commandes ? l’Unesco estime qu’il « manque des données solides sur la valeur ajoutée que les technologies numériques apportent à l’éducation ».

Pour autant, l’agence onusienne estime que la technologie constitue une « bouée de sauvetage éducative » à des millions de personnes à travers le monde. Ce fut notamment le cas durant l’épidémie de Covid, en permettant la permanence des apprentissages.

Côté négatif, « un lien défavorable entre l’utilisation excessive des technologies de l’information et de la communication et la performance des élèves » est souligné.

Le rapport alerte également sur l’acquisition de technologies « sans s’interroger sur les coûts à long terme ». Des coûts pour l’écologie, pour les budgets des pays, mais aussi pour le bien-être des enfants.