Trouvez ici les meilleurs morceaux de ce rapport produit par l’Éducation nationale elle-même en juin 2022…ça ressemblerait presque à un manifeste contre la numérisation de l’école ! Intéressant à transmettre aux élus des collectivités, aux directions d’établissements, à votre Rectorat, aux enseignants et aux parents d’élèves de votre école…

Un best-of de l'avis du CSP pour lecteurs pressés (2 minutes de lecture)

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Une compilation courte de l'avis CSP... qui en dit long (10 minutes de lecture)

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Le Conseil Supérieur des Programmes, c'est qui ? (1 minute de lecture)

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Avis sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques (juin 2022)

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Le CSP, c'est qui ?

Le Conseil Supérieur des Programmes (C.S.P.) a été institué par la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République du 8 juillet 2013. Il a alors succédé au Haut Conseil de l'éducation, créé en 2005 pour remplacer le Conseil national des programmes qui datait de 1989.

Mission

Sur le site du ministère de l’Éducation nationale, le C.S.P. est présenté comme étant appelé «à donner des avis et à formuler des propositions soit à la demande du ministre, soit en se saisissant d’une question qui relève de ses compétences. Ses avis et propositions sont rendus publics. Le CSP réunit des universitaires, des chercheurs, des spécialistes du système éducatif et des représentants élus de la Nation et de la société. »

Composition

Le Conseil supérieur des programmes réunit trois députés et trois sénateurs, deux représentants du Conseil économique social et environnemental (CESE), dix personnalités qualifiées qui sont « nommées par le ministre de l’Éducation nationale pour leur excellence dans leur domaine et leur connaissance du système éducatif. Le ministre désigne également un président et un vice-président. »
Le président actuel (depuis février 2022) est Mark Sherringham (normalien, agrégé de philosophie et docteur en philosophie, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche).

La rubrique « polémiques » dans l’article Wikipédia offre un bref résumé des questionnements sur l’indépendance du C.S.P., et un rappel des démissions de ses présidents. On retiendra la démission, le 26 septembre 2017, quelques mois après l’élection du président Macron, de Michel Lussault, au motif que « Jean- Michel Blanquer paraît avoir franchi des limites, qui consistent à remettre en cause de façon brutale et unilatérale des évolutions qui avaient longuement été discutées pendant les années précédentes ».

Concernant le présent avis

Le C.S.P. explique (p.13) que c’est à la suite de la crise du Covid-19 que le ministre de l’Éducation [Blanquer] « a demandé au Conseil supérieur des programmes de se pencher sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques ». Il est écrit que cette crise « a montré l’utilité, en situation d’urgence, du recours au numérique pour assurer une certaine forme de continuité pédagogique », mais aussi qu’elle a « montré très clairement les limites de l’usage d’un numérique au service des apprentissages scolaires, en particulier pour les élèves en difficulté ou issus des milieux socio-économiques défavorisés. »

Pour ce faire, « le CSP a procédé, d’octobre 2021 à avril 2022, à une cinquantaine d’auditions de chercheurs, d’enseignants de la maternelle à l’université, de membres des corps d’inspections, de l’administration centrale et d’opérateurs de l’éducation nationale, ainsi que de représentants de maisons d’édition et d’entreprises du secteur des Edtech [voir qui : annexe 2, p.98-101].
Il s’est appuyé sur des rapports, des avis et des publications, nationaux et internationaux, parmi les plus récents, de l’UNESCO, de l’OCDE, de l’UNICEF, de la Commission européenne, de la Banque mondiale, du Sénat et de l’Assemblée nationale, de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, des académies des sciences, de médecine, des technologies, de la Cour des comptes, du Défenseur des droits, du CNESCO, du Conseil scientifique de l’éducation nationale, des inspections générales, de l’Institut français de l’éducation, de l’INSEE, de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), de la direction du numérique pour l'éducation (DNE) et de nombreux laboratoires scientifiques (INSERM, CNRS, etc.). » (Communiqué de presse, 30/06/2022).

Note d'extraits choisis dans la publication

L’introduction (p.6-13) est intéressante à lire car elle retrace en trois étapes l’histoire du déploiement du numérique à l’école depuis vingt-cinq ans, par un rappel des rapports et des lois qui ont accompagné sa progression. Ainsi, le C.S.P. distingue les années 1997 à 2004 comme celles d’une « introduction limitée et prudente de l’informatique à l’école » ; puis la nouvelle étape de 2005 à 2013, celle de « l’inscription de l’informatique par la loi dans « le socle commun » de la scolarité obligatoire » (Loi pour l’avenir de l’école du 23 avril 20051) ; enfin, la période actuelle, ouverte à partir de 2013, celle de « l’éducation au numérique et par le numérique, une priorité pour l’Éducation nationale ». On en est alors au pari d’une transformation pédagogique grâce au numérique. La généralisation du numérique dans le système scolaire est censée agir comme « un levier stratégique de la refondation de l’École pour améliorer l’efficacité des enseignements, réduire les inégalités sociales et culturelles entre les élèves et ouvrir l’école sur son environnement ». Le texte, dont l’intégralité fait 105 pages, est composé de trois grandes parties. Les deux premières présentent un état des lieux sur les « usages variés du numérique scolaire selon les enseignements, les contextes et les élèves » (I), puis sur le plan des infrastructures, équipements et ressources numériques à l’École (« un potentiel riche mais parfois méconnu, sous-exploité et inadapté ») (II).

Les extraits donnés ici ne seront tirés que de la partie III, intitulée « Les incidences du numérique sur les apprentissages, les relations interindividuelles et collectives et la santé » (p.57-87). Il va sans dire qu’ils sont ici choisis pour leur contenu critique.

Les mises en gras ne figurent pas dans le texte d’origine.

« Les incidences du numérique sur les apprentissages, les relations interindividuelles et collectives et la santé »

La 1ere sous-partie s’intitule : « Les incidences sur les apprentissages scolaires : contextes international et national » (p.57).

« L’usage de l’imprimé devra être [...] maintenu. Il en est de même de l’écriture manuscrite, dont le maniement est, à de nombreux égards, indispensable aux apprentissages des élèves : moyen d’expression et d’élaboration du sens [...]. On doit à l’ère numérique se garder de favoriser la substitution de la technique à l’expression. » « Le CSP plaide donc pour une utilisation combinée des versions imprimées et numériques qui ne saurait se substituer à l’usage exclusif de l’un au détriment de l’autre. » Accordant un développement à la « classe inversée », le CSP rappelle « la place essentielle de la présence et de la parole en direct du professeur devant la classe », qui « non seulement « institue le savoir », mais crée un véritable « rapport au savoir ». Aussi, le CSP recommande « d’appliquer un principe de précaution en maintenant l’usage de méthodes pédagogiques éprouvées (écriture et productions graphiques manuscrites, prise de notes, manipulations expérimentales, etc.). ».

Le CSP met en cause « la vertu attribuée aux outils numériques pour accroître la motivation scolaire », « parfois érigée en doxa, y compris par l’institution ». « Ces arguments, qui parient sur un effet de mode et sur une introduction dans l’école de pratiques ludiques ou sociales, sont tenus non seulement par les médias ou des entreprises ayant des intérêts commerciaux, mais aussi par certains professionnels de l’éducation. »

« La seule introduction d’outils numériques dans l’enseignement ne suffit pas à améliorer les apprentissages et à réduire les inégalités »

« Ainsi, les pays comme le Royaume-Uni, l’Australie ou les pays nordiques, qui ont consenti d'importants investissements dans les TIC dans le domaine de l'éducation, n'ont enregistré, dans les dix dernières années, aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences. Certains pays, comme l’Espagne, ont même vu leurs résultats s’aggraver. À l’inverse, seuls 42 % des élèves de Corée et 38 % de ceux de Shanghai (Chine) indiquaient utiliser des ordinateurs à l’école (contre 72% d’élèves en moyenne dans les pays de l’OCDE) et pourtant ces pays figuraient parmi les plus performants aux évaluations informatisées de compréhension de l’écrit électronique et de mathématiques du Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA). Un excès d’utilisation du numérique aggrave même les deux facteurs mesurés par PISA que sont la performance et l’équité des systèmes éducatifs. »

« Les élèves de milieux privilégiés sont presque deux fois plus nombreux que leurs homologues défavorisés à recourir chaque jour aux ressources numériques pour faire leurs devoirs. Paradoxalement l’accès aux outils et aux ressources numériques a donc amplifié les inégalités sociales en matière d’éducation. »
« Les résultats des enquêtes nationales et internationales démontrent que les élèves qui utilisent de manière très importante les appareils numériques à l’école présentent généralement de moins bons résultats par rapport aux élèves qui utilisent le numérique de manière moins intensive. Cela a été notamment observé en mathématiques, en lecture et en sciences. Les raisons de ces résultats peuvent être liées au fait que les nouvelles technologies sont parfois utilisées pour remplacer d’autres pratiques plus efficaces pour construire les apprentissages. »

« Plus précisément, l’utilisation des ordinateurs à l’école n’entraîne une amélioration des performances en écriture et en lecture, traditionnelle et numérique, qu’en dessous d’un certain seuil d’utilisation. Au-dessus de ce seuil, non seulement les performances ne s’améliorent pas, mais elles s’aggravent. »

« Les outils numériques, notamment le téléphone intelligent, sont de plus en plus utilisés à des fins de contournement des difficultés d’expression écrite [...]. Une telle pratique accélère la perte du geste graphique et l’amoindrissement de capacités cognitives qui s’y rattachent. »

« Il ressort également des enquêtes internationales que l’acquisition de nombreuses compétences numériques est avant tout facilitée par la maîtrise de processus de réflexion et de raisonnements complexes, acquis hors de la sphère du numérique. Ainsi, les données internationales indiquent que les bonnes performances en lecture et en écriture numériques sont corrélées, non pas à l’utilisation des outils numériques, mais aux bonnes performances en écriture et en lecture traditionnelles. »

« Compte tenu des problèmes actuels de recrutement, de profil et de formation initiale des enseignants, le CSP recommande par ailleurs que la formation continue soit recentrée sur la compensation de déficits disciplinaires et didactiques plutôt que sur la prise en main d’un environnement numérique qui pourrait être rapidement obsolète. »

« Les résultats produits par les différentes enquêtes nationales et internationales modifient donc la manière de concevoir la question du numérique à l’école. [...] les enquêtes n’ont mis en évidence qu’une corrélation faible, voire parfois négative, entre l’utilisation des TIC dans l’éducation et la performance des élèves, y compris dans les domaines relevant du numérique. De même, l’objectif de réduction des inégalités n’a pas été atteint. Une explication possible réside dans le fait que les nouvelles technologies seraient plus préjudiciables que bénéfiques aux interactions entre les enseignants et les élèves, qui sont au coeur d’une compréhension conceptuelle et d’une réflexion approfondie. »

Très courte, la 2e sous-partie précise « Les avantages du numérique pendant le temps scolaire et hors du temps scolaire » (p.67)

[Sur les « classes virtuelles » :] « Si les aspects techniques et pédagogiques de ces nouveaux modes d’enseignement ont été correctement appréhendés et maîtrisés par une majorité d’enseignements, en revanche, leurs incidences psychologiques, sanitaires et sociales n’ont pas été évaluées à ce jour. » Le CSP recommande donc leur évaluation et d’en « tirer les conséquences en situation ordinaire d’enseignement. »

La 3e sous-partie traite de « La prise de conscience des risques et des entraves liés à l’usage du numérique : la nécessité de les mesurer, de les analyser et de les évaluer » (p.69)

[Elle commence par déconstruire :]

Le mythe des enfants du numérique

« Une théorie forgée outre-Atlantique au tout début des années deux mille a vanté, sans les prouver jamais, les capacités innées des enfants à manier les outils numériques par le seul effet d’une immersion précoce. [...] La recherche a, depuis un certain temps, remis en cause le mythe des enfants du numérique. Ce dernier perdure cependant dans certains esprits et entrave la mission de transmission de l’école. Certains chercheurs ont même évoqué à ce propos une forme de « démission pédagogique ».
« Notons par ailleurs que les génies du numérique ont été formés au latin, au grec et aux mathématiques par des maîtres présents, aux savoirs incarnés et non virtuels.
C’est après avoir suivi cette voie de formation qu’ils ont découvert et pratiqué la science informatique avant d’aborder le monde numérique. Une conversion tardive à cet environnement n’empêchera nullement un usage de ses outils, notamment parce qu’ils ont été conçus pour être utilisés de manière intuitive et spontanée. En revanche, une immersion prématurée ne facilite en rien les apprentissages essentiels. Au contraire, en raison du verrouillage progressif des fenêtres de développement cérébral qu’elle induit, leur acquisition risque de devenir de plus en plus difficile à réaliser. »

Les incidences du numérique sur l’environnement et l’impératif de sa prise en compte par l’École

« Les outils numériques [...] et les infrastructures de stockage des données qu’ils utilisent seront parmi les plus consommateurs d’énergie et les plus émetteurs de gaz à effet de serre, phase d’utilisation et de production confondues, à l’horizon 2040. [...] au-delà de l’apprentissage de l’utilisation des services numériques, il est nécessaire de faire comprendre aux élèves leur fonctionnement pour leur permettre d’appréhender le versant matériel du numérique. »

Parmi les recommandations, figurent :
« - permettre aux élèves de comprendre et progressivement de pouvoir comparer les biens et les services au regard de leurs incidences sur l’environnement ; »
« - éviter dès lors les injonctions contradictoires de l’institution : rechercher comment concilier le déploiement du numérique dans la sphère scolaire et parascolaire avec les contraintes du développement durable en intégrant une réflexion sur la consommation énergétique, la pollution, etc. »*

Sur [les effets de] « l’environnement numérique scolaire »

« Le numérique éducatif modifie le rapport au temps et accentue la porosité entre les différents espaces. » « Ces évolutions posent cependant des problèmes qu’il convient de ne pas sous-estimer : des connexions tardives, une dispersion des élèves, une forme de passivité intellectuelle qui entrave la réflexion (consommation de vidéos à caractère pédagogique). »

« Le brouillage des frontières entre les sphères privée et scolaire pour l’élève, privée et professionnelle pour l’enseignant, efface les limites spatiales, temporelles, et privées qui avaient été posées avant l’avènement de l’ère numérique. »

« Le professeur devient un fournisseur d’activités à disposition et à la demande. Certaines de ces activités supposent que les élèves disposent de conditions matérielles satisfaisantes, mais aussi d’une maturité numérique suffisante »
« L’exposition aux écrans des élèves est décuplée et mêle numérique éducatif et numérique récréatif, pouvant générer passivité, confusion, voire installation de pathologies fonctionnelles liées à un usage irréfléchi des outils et des activités proposés (jeux, réseaux sociaux, etc.). »

« Les contenus à risques (sexuels, tabagiques, alcooliques, alimentaires, violents, etc.), les prescriptions de normes pour les adolescents (publicités, influenceurs, réseaux sociaux, etc.) saturent l’espace numérique. Les réseaux sociaux, positifs quand ils sont un soutien contre la solitude, qu’ils réduisent la sensation d’isolement, ou qu’ils favorisent les amitiés existantes, se révèlent source de désinhibition chez certains adolescents et facilitent certaines dérives comme le harcèlement anonyme, une surexposition de soi, des formes d’exclusion, une propension à dresser des groupes les uns contre les autres (l’industrie de la rumeur) »
« Le défaut de stimulations culturelles, artistiques ou sportives conduit à un désintérêt des jeunes pour des activités de substitution à la fréquentation des écrans, alors qu’elle peut engendrer des pratiques conflictuelles et pathologiques. »

Sur [les effets de] « l’environnement numérique récréatif »

« La consommation récréative du numérique est considérable. Dès l’âge de deux ans, les enfants, dans les pays occidentaux, cumulent chaque jour trois heures d’écran en moyenne ; cela représente presque mille heures pour un élève de maternelle, soit plus que le volume horaire d’une année scolaire ; deux mille quatre cents heures pour un lycéen, soit 2,5 années scolaires. »

« la recherche a mis en lumière une liste d’influences délétères, tant chez l’enfant que l’adolescent. Tous les piliers du développement seraient affectés, le somatique, le corps jusqu’à l’émotionnel en passant par le cognitif (le langage, la concentration) : une récente méta-analyse expose une corrélation entre l’augmentation et la sévérité des retards de langage et la hausse des temps d’écran, autant d’atteintes qui contraignent la réussite scolaire. On note à ce propos que les élèves issus de milieux défavorisés affichent une durée d’exposition moyenne aux écrans très significativement supérieure à celle des autres élèves. »

Si la « plupart des études montrent » que «l’environnement et les pratiques numériques en milieu scolaire » provoquent plutôt « un affaissement des compétences cognitives des jeunes depuis le langage jusqu’aux capacités attentionnelles, en passant par les savoirs culturels et fondamentaux de base » ...« À ce jour, en revanche, aucune étude n’indique que la privation d’écran à usage récréatif pourrait conduire à l’isolement social et à quelque trouble émotionnel que ce soit. De plus, un grand nombre de recherches souligne les incidences lourdement préjudiciables de ces outils sur les symptômes dépressifs et anxieux des enfants.
Pour conclure, la littérature scientifique demeure à ce stade unanime quant à la gravité des incidences négatives des consommations numériques récréatives sur la santé somatique (ex. obésité), l’équilibre émotionnel (ex. anxiété, agressivité), le développement cognitif (ex.langage, attention et concentration) et, ultimement, la réussite scolaire des enfants. Les principales chaînes causales sont d’ailleurs solidement établies : appauvrissement des relations intrafamiliales, sursollicitation attentionnelle exogène, sous-stimulation intellectuelle, préjudices de sommeil, accroissement de sédentarité. »

La nature des usages domestiques : une réalité qui dessert les plus faibles

« Le temps quotidien de consommation récréative, hors devoirs et usages scolaires, a augmenté pour atteindre en 2021, 4 h 44 chez les 8-12 ans, 7 h 22 chez les 13-18 ans (6 h 40, en 2015). La création de contenus (codage informatique, exposé numérique, captations et créations artistiques, traitement automatique de mesures, etc.) grâce aux outils numériques y demeure très minoritaire au profit de l’utilisation récréative des médias numériques. Ainsi, seulement 3 % du temps consacré par les enfants et les adolescents aux médias digitaux est utilisé à cet effet »

Dans le champ scolaire : des usages souvent détournés et une maîtrise insuffisante

« Des enfants issus de milieux favorisés utiliseront davantage les ressources éducatives accessibles dans l’internet alors que ceux de milieux défavorisés privilégieront l’accès à l’internet pour des usages essentiellement récréatifs. »

« Plus de 80 % des élèves déclarent ne jamais utiliser les outils numériques pour des usages académiques : ces derniers représentent une fraction mineure du temps total d’écran (5 % chez les enfants et 10 % chez les adolescents, valeurs surestimées dans la mesure où elles incluent les cas d’exploitations conjointes.
Tout particulièrement pour les jeunes en situation d’illettrisme, les compétences stratégiques et éditoriales sont totalement inexistantes, tandis que les compétences fonctionnelles, au même titre que la lecture et l’écriture, sont l’objet de stratégies de compensation et de contournement (usage de commandes vocales à la place du clavier). Ainsi, le fossé numérique risque d’être un abîme pour ces personnes. »

Des résultats scolaires qui sont très souvent corrélés à l’usage du numérique

« Des études confirment que la courbe de l’augmentation du temps d’utilisation suit celle de la baisse des résultats scolaires. L’usage d’un ordinateur domestique, aussi utile qu’il soit cependant dans le cadre d’usages raisonnés et dirigés, n’aurait ainsi aucune incidence positive sur la performance de l’élève à l’école. L’usage des outils numériques dans le cadre scolaire est de même très loin de participer à la hausse significative des résultats. Les exemples nombreux des États ou des collectivités territoriales ayant massivement investi dans ces matériels et ces usages confirment cette tendance. Il a pu s’agir dans certains cas de privilégier des logiques économiques ou clientélistes à défaut d’objectifs pédagogiques définis et dont l’atteinte aurait justifié la voie numérique. »

Des usages qui ouvrent parfois la porte de l’illettrisme et qui affectent les piliers du développement de l’élève

« Les divers usages du numérique affectent considérablement la réussite scolaire. Paradoxalement, compte tenu du très fort taux d’équipement numérique des familles les moins favorisées et les plus éloignées du livre, ils accentueraient les difficultés rencontrées plus qu’ils ne les atténueraient. »

« L’effet sur la réussite scolaire d’un mauvais usage du numérique reflète ce que subissent les piliers du développement cognitif de l’enfant : le langage (altération du volume et la qualité des échanges verbaux précoces induite par un détournement des enfants et des parents au profit de l’environnement numérique, par exemple), l’écrit (retard ou entrave à l’entrée dans l’écrit et sa culture), la concentration (difficultés du cerveau humain à gérer des sollicitations exogènes), la mémoire, la sociabilité ou encore le contrôle des émotions seraient ainsi tout particulièrement affectés. »

« Les interactions humaines qui, tout comme la dynamique collective de la classe parfois menacée par un excès d’individualisation des pratiques, sont parmi les composantes du développement de l’élève et de ses apprentissages se trouvent elles aussi altérées. »

Des incidences constatées sur la santé

« Ce sont enfin les fréquentions addictives, et notamment l’exposition aux contenus à risques (violence, pornographie, informations fallacieuses, etc.), parfois érigées en normes car à l’image de la société dans laquelle l’enfant est immergé virtuellement, qui peuvent être sources de pathologies graves (symptômes dépressifs et anxieux, schizophrénie, etc.) et d’une manière générale sources de troubles du comportement et de la croissance. On peut par exemple évoquer les multiples cas de harcèlement en direction des élèves et des enseignants, et malheureusement parfois de délits et de crimes graves.
D’une manière générale, [...] la surexposition aux écrans peut avoir de nombreuses conséquences médicales, d’ordre psychologique et psychiatrique [...]. La relation entre, d’une part l’usage des réseaux sociaux et, d’autre part, la dépression des adolescents et leurs tendances suicidaires est mise en cause, notamment du fait des risques de désinhibition de la communication et de harcèlement. Pour ce qui concerne les jeux, le basculement dans l’addiction [...] peut conduire au fléchissement scolaire et à l’isolement social », mais aussi physiologique (le risque accru d’obésité [...]). Il a été montré que les troubles peuvent encore affecter la vue, l’attention, le sommeil ; ils peuvent être de nature fonctionnelle, rendant par exemple difficile l’acquisition ou l’exécution manuscrite de l’écriture [...] »
« La question du temps de travail et celle de l’espace de travail virtuel, tous deux devenus indéfinis et extensibles, doivent aussi être prises en considération. Le CSP estime qu’il est absolument nécessaire de prévoir des temps de travail « hors numérique » (connexion et usage d’un outil spécifique), pour réduire le temps inutilement passé devant les écrans et limiter la passivité de l’élève hors de la vue de l’enseignant. »

Les rythmes biologiques de l’enfant contrariés par l’exposition précoce et continue aux écrans

« S'il est implicitement considéré comme un facteur de bien-être et de réussite, le sommeil reste encore souvent considéré comme une perte de temps. Or, il assure à l'enfant et à l'adolescent un bon développement physique, psychique et cognitif. Les travaux scientifiques en psychologie et en neurosciences mettent en avant son rôle clé pour les apprentissages, tant pour leur acquisition que pour leur consolidation. On estime que plus de 30% des enfants et jusqu'à 70 % des adolescents ne dorment pas suffisamment. L’attrait des écrans est fréquemment avancé comme cause de cette entrave à un besoin fondamental.»

L’importance de la prise en considération du stade préscolaire

« [...] le langage occupe une place cruciale dans l’environnement de l’enfant. S’il exprime le plaisir de l’échange, il est surtout l’un des vecteurs essentiels de l’apprentissage conceptuel. [...] l’importance majeure des échanges interindividuels avec les parents, les enseignants, les camarades de classe, lors des premières années de l’enfant, doit être réaffirmée. [...] Le jeu est, tout comme les échanges verbaux et la confrontation à l’écrit par l’intermédiaire de la lecture à haute voix, un des cadres importants où l’enfant met notamment en place ses premières intuitions mathématiques, géométriques, sur le temps ou sur la causalité. [...] une différence d’expérience du langage entre enfants est révélatrice d’une faiblesse du vocabulaire et de la syntaxe et de difficultés de compréhension à l’entrée à l’école pour les enfants peu stimulés. »

« L’importance de l’exposition de l’enfant à la lecture à haute voix dans un environnement qui tend à privilégier la culture et la fréquentation de l’écran
La lecture et le récit d’histoires exposent l’enfant à de nouveaux concepts, à un vocabulaire de plus en plus riche, à des structures de phrases de plus en plus élaborées : cette richesse que procure le livre se retrouve plus rarement dans la vie quotidienne et manifestement sur les écrans. C’est dès lors une activité primordiale dans la perspective d’un enrichissement et d’une incarnation du lexique de l’élève.

Dans un environnement qui tend à imposer la culture et la fréquentation de l’écran, l’exposition au livre et à l’écrit, par la lecture à voix haute, est devenue essentielle ». « L’entrée dans la civilisation du livre permet à l'enfant l’accès à une source première de contextes tressés dans la narration, accessibles par l’écoute et le regard, dans le plaisir. »

« La lecture à haute voix est, à ce stade, primordiale. Au plan affectif, ce sont des temps de partage qui renforcent, selon les circonstances, les interactions et la complicité entre les enfants et leurs parents, ou entre les élèves et leur enseignant ; ils induisent une forme d’épanouissement en classe, autour du livre et du maître, à la maison, autour du livre et des parents.

Ce sont enfin des moments de détente, de gestion du stress, de développement de l’empathie et des aptitudes sociales et émotionnelles par l’ouverture aux autres que procure le livre. Sa découverte par la lecture à haute voix permet le renforcement du lien qui unit les élèves d’une même classe ; tous sont invités à entrer ensemble dans un autre monde, contrairement à ce qu’impose la fréquentation d’un écran individuel, à s’échapper du réel grâce au pouvoir d’évocation des mots, à la musique de la phrase et à la force du récit qu’incarne l’enseignant. »

La confrontation aux écrans : la tentation de l’« emmaillotage numérique »

« les enfants en âge pré-scolaire et en classe maternelle, dès l’âge de deux ans, cumulent chaque jour trois heures d’écran en moyenne. Une étude récente a montré que 26 % des 0-2 ans regardent des vidéos, 24 % des feuilletons, 22 % des films. Enfin, 43 % des 0-2 ans utilisent le réseau internet, selon leurs parents. [...] d’un usage récréatif à un usage utilitaire, on est passé à un usage à visée exclusivement calmante, proposé puis maintenu par les parents. Totalement passif, le très jeune enfant peut apparaître comme déjà victime d’un trouble comportemental. »

« Les outils numériques utilisés dans ce contexte imposent des stimuli intenses aux enfants, forçant une attention soutenue pour traiter les multiples informations reçues. Le retentissement sur le temps de sommeil et sur le temps d’endormissement des enfants, y compris chez les très jeunes, est documenté.

Quel que soit l’âge de l’enfant, mais plus encore lorsqu’il est très jeune, la fréquentation excessive des écrans numériques altère la qualité et la quantité des échanges interfamiliaux, le volume et la qualité des échanges verbaux précoces, et entrave l’entrée dans le monde de l’écrit.

L’environnement d’alphabétisation à domicile a pourtant été identifié comme un prédicteur clé de la langue des enfants, de leur préparation à l’école, de leur réussite scolaire et de leurs résultats comportementaux. »

Des expériences sensorielles et motrices, sources d’épanouissement affectif

[À l’école maternelle] : « La place primordiale accordée aux langages (le français, les mathématiques et la musique notamment) est une condition essentielle de la réussite des élèves. La pratique d'activités physiques et artistiques permet de développer les interactions entre l'action, les sensations, l'imaginaire, la sensibilité, la pensée et les langages. Sur le terrain, nombre d’enseignants ont pu attirer l’attention des corps d’inspection sur l’incapacité de certains élèves, révélée à l’adolescence (au collège et au lycée), de maîtrise du geste graphique. Le fait que cette dernière n’ait pas été acquise lors de la scolarité antérieure s’explique en partie dans une fréquentation précoce et excessive des écrans qui détourne l’enfant de l’écriture, et plus généralement, d’activités manuelles. Afin de prévenir ces risques dès l’âge préscolaire, il convient de s’assurer que tous les élèves puissent travailler à la fois la mobilité globale (courir, sauter, se mouvoir dans l’espace, etc.), la motricité fine (assembler, manipuler, tracer, découper, etc.) et les pratiques sensorielles (jeux individuels et collectifs, etc.) qui, toutes, se passent des écrans. »

« Pour conclure, l’École, dans un environnement numérique en perpétuelle évolution et en constante expansion, se doit de former ses élèves à la maîtrise des nouveaux outils numériques, tout en les préservant des dangers potentiels qui devront être étudiés et mesurés. Elle est en attente de lignes directrices claires portant sur le long terme et de confirmations scientifiques du bien-fondé des outils proposés et au-delà, des politiques mises en oeuvre. On ne peut que regretter la volatilité des expérimentations engagées dans ce cadre, notamment par la DNE du MENJS et l’absence de leur évaluation. »

« Il ne s’agit en aucun cas d’interdire l’usage du numérique ou d’en nier les bienfaits avérés, dans des situations pédagogiques définies et constituant des aides éducatives précieuses, mais essentiellement de porter une grande attention aux usages, aux taux d’usage et aux seuils de dangers définis par les études conduites partout dans le monde ».

Parmi les recommandations (dont aussi : pas d’exposition avant l’âge de six ans ; de six à dix ans, pas de recours au numérique lorsque d’autres solutions existent...) :

  • d’une manière générale, des débuts de la scolarité jusqu’à la fin du collège, engager une réflexion collective au sein des établissements scolaires sur la place des écrans en y associant les parents, et tout particulièrement dans des contextes de grande vulnérabilité sociale ;
  • définir un devoir d’information de l’Éducation nationale envers les familles, les enseignants et les élèves sur les dangers avérés du numérique ;
  • ne pas considérer l’Éducation nationale comme un marché ouvert aux stratégies commerciales des acteurs commerciaux et notamment des géants du numérique ;
  • privilégier dans l’environnement pédagogique la relation humaine et la réalité à la dématérialisation et au virtuel ;

La 4e sous-partie traite de « La modification du statut du savoir, du rapport au savoir et de l’accès au savoir » (p.84)

« L’idée s’est alors peu à peu imposée que l’attractivité d’un cours reposait sur une utilisation bien pensée d’outils numériques appropriés. » « Le CSP rappelle que l’enseignement est un art vivant qui instaure et entretient une relation entre l’enseignant et l’élève, préalable à la relation entre l’élève et le savoir. Le son, l’intonation, la gestuelle, la qualité de gestion de l’espace par le professeur sont autant de paramètres qui participent à la qualité et à l’effectivité de la transmission du savoir. En regard, la disponibilité, l’attention, l’implication et en général l’ensemble des interactions attendues contribuent à l’indispensable réception de ce dernier par l’élève. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur la place et l’utilité du numérique. »
« [L]’École, depuis toujours, a oeuvré à l’édification d’un modèle humain indépendant, instruit et responsable. L’irruption du numérique dans la société et plus récemment dans la sphère éducative est venue perturber ce projet pédagogique et anthropologique : l’apprentissage et l’assimilation des connaissances, ainsi que l’accès aux savoirs et l’indépendance intellectuelle qui en découlent, sont en effet mis en péril par l’offre d’accès à l’information facilitée et encouragée par l’environnement numérique. »

Le CSP recommande en particulier d’ « éduquer les élèves à la différence entre information, connaissance et savoir », et de « privilégier dans la démarche éducative, l’objectif d’assimilation des connaissances et d’émergence du savoir en vue d’une restauration de l’indépendance intellectuelle de l’Homme face à la machine. »

Le 5e et dernière sous-partie aborde : « Les relations humaines à l’ère du numérique » (p.86)

Elle est relativement courte. Le CSP y recommande d’ « Éviter de favoriser les relations humaines virtuelles au détriment des interactions réelles. »