Monsieur le Président,

Je crois qu’il est de mon devoir de citoyenne de vous écrire pour vous remonter la problématique que des milliers de parents de lycéens subissent actuellement du fait de la Numérisation accélérée de l’Ecole imposée par l’Education Nationale et pleinement soutenue par la Région Grand Est.

En effet, comme tant d’autres parents, mon mari et moi-même nous nous sentons isolés et totalement démunis depuis le passage de notre fils en seconde d’un lycée du Bas-Rhin et son acquisition du fameux « PC portable » que vous offrez gracieusement et qui remplace désormais tous les manuels papiers. Au passage, je relève que ce choix fait par le Grand Est n’est pas partagé par toutes les régions puisque certaines (comme l’Occitanie par exemple) continuent à fournir des livres, bien plus faciles à feuilleter et bien plus féconds pour un apprentissage de qualité et une lecture concentrée. Aussi, tandis que nous étions parvenus, jusque-là, à contenir l’utilisation par nos enfants des écrans dont nous disposons à la maison (ordinateur de famille, téléphones portables munis d’un contrôle parental pour limiter les temps d’écran), ce PC, désormais « propriété » de notre adolescent de 15 ans, est désormais hors de contrôle et nous voyons notre fils s’enfoncer petit à petit dans une dépendance à l’écran sans que l’on ait quelque moyen que ce soit pour stopper cela. Car, et c’est bien là le problème, il s’agit d’un outil sans lequel nos jeunes ne peuvent désormais plus travailler ni faire leurs devoirs et qu’il faut impérativement avoir en classe sous peine de sanction par l’établissement !

J’ai, pour ma part, alerté et interpelé très vite l’équipe éducative du lycée concerné sur l’impact de cette numérisation de l’école sur la scolarité de notre fils dont les résultats sont en chute libre depuis l’acquisition de ce cadeau empoisonné. Certains professeurs m’ont suggéré de confisquer l’ordinateur, ce qui est parfaitement impossible puisque les devoirs et les livres se trouvent sur l’ordinateur et par ailleurs incohérent avec l’obligation d’avoir le PC tous les jours en classe. Le directeur, quant à lui, s’est dit lui-même démuni face à notre inquiétude et nos questions puisque le lycée 4.0 est imposé par l’Education Nationale. Comme seuls conseils, on m’encourage à acheter des manuels papier à mes frais et à me tourner vers un psychologue en cas d’addiction car manifestement « notre fils détourne l’utilisation de l’outil qui lui a été confié ». Les bras m’en tombent : avant l’arrivée de ce PC, il n’y avait aucun problème puisque notre éducation permettait justement de préserver notre fils de cet excès de numérique. Et voilà qu’il nous faut consulter un psychologue car l’Ecole, censée protéger et faire grandir nos enfants, génère des problèmes de santé mentale ?! Je suis effarée par cette situation ubuesque.

Permettez-moi une petite digression qui n’en n’est pas tout à fait une. En effet, on déplore et on s’offusque au plus haut de l’Etat, de la hausse des suicides chez les adolescents et du harcèlement scolaire que l’on relie assez aisément à l’usage intempestif et incontrôlé des réseaux sociaux par les jeunes. On lance des plans de grande envergure qui ne donnent rien, et pour cause, on encourage le phénomène en offrant gracieusement à des jeunes non-mâtures l’arme qui se retournera contre les plus vulnérables d’entre eux. Quelle hypocrisie, quelle honte mais surtout quelle irresponsabilité des dirigeants de ce pays !

En bref, ce « lycée 4.0 » a été lancé de manière totalement irréfléchie, malgré tous les signaux d’alertes publiés par les nombreux experts en apprentissage, en neurologie cognitive, sans anticiper les conséquences sanitaires sur nos adolescents dont le cerveau n’est pas encore suffisamment développé pour être en mesure de réprimer ou du moins maitriser l’attraction des écrans. Tandis que nos enfants ont plus que jamais besoin, à cet âge-là, de bases solides pour se construire, structurer leurs pensées, leurs méthodes de travail et leur psychologie, ce numérique inonde leur quotidien 7 jours sur 7 sur des plages horaires qui dépassent l’entendement, les submerge et les met véritablement en danger.

Je soulève un dernier point qui met en évidence que de nombreux facteurs peuvent encore aggraver ce constat déjà alarmant. Mon fils présente un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH) qui le rend d’autant plus vulnérable aux écrans. De nombreuses études ont en effet montré d’une part que le temps consacré à un écran est directement associé à une exacerbation des symptômes du trouble déficitaire de l’attention. D’autre part, les enfants qui présentent ce trouble sont plus susceptibles de tomber dans tous types d’addiction, y compris l’addiction aux écrans. Je me permets d’évoquer, à titre d’exemple le cas des TND parce que je les connais bien, mais d’autres situations induisent tout autant de vulnérabilité, comme par exemple, un milieu familial peu structurant ou des parents non formés au numérique qui ne sauront pas accompagner ni contrôler leur jeune.

Aussi, je me demande si l’on a vraiment pris la mesure, dans vos workshops « atelier 4.0 »,  qu’en distribuant à tout va, pour des questions égalitaires, des PC portables à tous les enfants sans considération aucune de leurs différences en termes de développement, de maturité cérébrale ou de structure familiale, que l’on renforcerait les vulnérabilités et donc les inégalités ? Bref, nous allons droit dans le mur à tous niveaux…

Vous l’aurez compris, je suis extrêmement en colère face à une telle irresponsabilité de notre gouvernement et de nos administrations qui déploient sans réfléchir des systèmes qui détruisent nos enfants. Je vous prie donc de partager ce cri d’alarme auprès de nos dirigeants et à votre niveau de reconsidérer au plus vite votre politique avec pour commencer, le rétablissement dès la rentrée scolaire prochaine de la fourniture des manuels scolaires papier qui ont fait leur preuve jusqu’à présent il me semble !


Réponse du Président de région

Vous avez voulu m’écrire au sujet de la situation de votre enfant et de l’utilisation par ce dernier de l’ordinateur fourni par la Région Grand Est dans le cadre de sa scolarité.

Je prends vos remarques avec sérieux et les transmets aux services de la Région en charge du déploiement du lycée 4.0.

Si le numérique présente certes des risques de dépendance, de trouble du sommeil ou de concentration, il en demeure un outil essentiel pour la société actuelle et celle à venir. La distribution d’un ordinateur et la mise en place de supports numériques répond à plusieurs objectifs. Il s’agit d’une part de faciliter et de développer les compétences numériques et informatiques des élèves, qui seront essentiels au monde de demain.

Par ailleurs, cette distribution d’un ordinateur à chaque élève est une politique sociale menée et assumée par la Région Grand Est. Il s’agit de permettre aux élèves issus de milieux défavorisés de disposer gratuitement d’un ordinateur à la fin de leur scolarité et de ne pas les pénaliser par rapport à d’autres élèves.

Comme tous les outils, les ordinateurs présentent des inconvénients et il s’agit de les limiter du mieux possible. Ces outils numériques présentent notamment des risques pour le développement psychomoteur des enfants, ce qu’avait souligné en début d’année Gabriel Attal, alors Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse. S’agissant des lycéens, il s’agit un public plus âgé, et beaucoup disposent d’ores et déjà d’un téléphone mobile.

Je prends néanmoins bonne note de vos remarques et en tiendrai compte afin de parfaire notre politique du lycée 4.0.

Vous en souhaitant bonne réception,

Bien cordialement,

Franck LEROY I Président de la Région Grand Est